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- LA TRAITE ESCLAVAGISTE ESPAGNOLEESPAGNOLE
Avec plus d’un million de captifs embarqués (soit 8,5 % de la déportation opérée), le pavillon espagnol se place au quatrième rang de la traite africaine atlantique, loin derrière l’ensemble Portugal/Brésil et la Grande-Bretagne, assez proche de la France. Le profil en est très spécifique, avec deux temps forts inégaux : un premier entre 1540 et 1660 (22,6 %) et un second écrasant entre 1810 et 1867 (72,7 %). Le système est tout aussi particulier. Pionnière, l’Espagne bascule vite dans le recours à des prestataires extérieurs avant de s’y investir fortement au 19e siècle, dans un temps de retrait progressif des opérateurs historiques. Singulière dans son interdiction de l’esclavage des Amérindiens au 16e siècle, elle ne transfère pas la question à l’importation de main-d’oeuvre servile africaine et cet héritage culturel n’a aucune influence au moment du développement de l’abolitionnisme en Europe. Guy Saupin Almeida Mendes, António de, « Les réseaux de la traite ibérique dans l’Atlantique nord (1440-1640) », Annales, Histoire, Sciences sociales, 2008, vol. 63-4, p. 741-752.
- LE PORTUGAL ET L’INVENTION DE LA TRAITE TRANSATLANTIQUE,XVE-XVIE SIÈCLES
Du fait de son expansion dans les pays d’outre-mer, le Portugal joue un rôle de premier plan dans le développement de la traite esclavagiste transatlantique. Les navires portugais transportent des captifs africains à travers l’Atlantique vers l’Europe et les Amériques. Cette activité devient l’une des activités coloniales les plus lucratives. Entre 1501 et 1875, la traite portugaise a touché près de 6 millions d’Africaines et Africains. Aurora Almada e Santos
- L’AFRIQUE ATLANTIQUE DANSLES AUTOBIOGRAPHIESD’ANCIENS ESCLAVES
L’évocation de la vie en Afrique et de la traite sur les côtes africaines est très minoritaire dans les autobiographies d’anciens esclaves. Ces récits posent des problèmes d’interprétation du fait du contexte de leur rédaction et doivent être confrontés aux données historiques. Toutefois, ils ont une valeur unique : ils permettent de faire sortir du silence les voix des victimes de la traite esclavagiste transatlantique. Guy Saupin Carretta, Vincent (ed.). Unchained Voices: An Anthology of Black Authors in the English-Speaking World of the Eighteenth Century. Lexington: The University Press of Kentucky, 1996.
- ESCLAVAGE DANSLES COLONIES EUROPÉENNES
L’économie esclavagiste bascule à la fin du Moyen Âge de la Méditerranée vers l’Atlantique. La plantation sucrière apparaît tout d’abord dans les îles au large de l’Afrique, puis dans les îles de la Caraïbe (où elle atteint son apogée au 18e siècle, à Saint-Domingue notamment) et au Brésil. Simultanément se développent en Amérique d’autres économies esclavagistes, selon des cycles successifs (café au Brésil, coton aux États-Unis, etc.). La plantation génère une société inégalitaire et compartimentée, où les hiérarchies liées à la barrière de race n’empêchent pas une certaine plasticité. L’économie esclavagiste est un étonnant mélange de traits modernes et de traits archaïques. Bernard Salvaing Curtin, Philip D. The Rise and Fall of the Plantation Complex. New York: Cambridge University Press, 1990. RYTHMES DE L’ECONOMIE ESCLAVAGISTE COLONIALE Au Moyen Âge, Venise et Gênes importaient déjà des esclaves, principalement slaves – d’où le mot « esclave » – dont une minorité destinée à l’économie sucrière (Chypre). Après 1453, la traite et l’esclavage basculent de la Méditerranée vers l’Atlantique. Il y a bientôt dix mille Africains à Lisbonne ; les Portugais développent la culture sucrière à Madère puis à Sao Tomé, les Espagnols aux Canaries. Enfin l’économie esclavagiste gagne l’Amérique : le recours aux Africains est précipité par l’hécatombe des esclaves amérindiens dont le prêtre dominicain Bartolomé de Las Casas prend la défense. Les Espagnols emploient des esclaves africains dans les campagnes, les cités andines et les mines (Potosi). En 1600, à Lima, la moitié de la population est noire. C’est cependant au nord-est du Brésil, en liaison avec l’économie sucrière développée à partir de 1550, que le recours aux esclaves prend un tournant décisif. Jusqu’en 1888, le Brésil en importe au moins un million. Le cycle suivant commence dans les Isles, sous l’impulsion des Hollandais. Un moment maîtres du nord-est du Brésil, ils quittent Pernambouc en 1650 ; certains transitent par la Guadeloupe, la Martinique, les Barbades : leur passage y entraîne l’essor de la canne à sucre, dont la culture remplace celle du tabac – qui à ses débuts avait recouru à un engagisme européen générateur de nombre d’abus. À la fin du 17e siècle, les plantations se développent dans les grandes îles (Saint-Domingue ; la Jamaïque). Elles sont à leur apogée au 18e siècle où la population servile des îles dépasse le million. À la même époque, l’économie sucrière est prospère au Brésil (Bahia, Pernambouc) qui développe parallèlement l’économie caféière (Rio, Sao Paulo). Une économie de plantation esclavagiste apparaît aux États-Unis : tabac de Virginie, Maryland, Caroline du Nord ; riz de Caroline du Sud. Après 1790, le Vieux Sud se met au coton, culture principale au 19e siècle. Jusqu’à 1865, 500 000 esclaves ont été importés aux États-Unis. Après l’effondrement de la production de Saint-Domingue – 40 % de la production mondiale en 1790 – consécutive à la révolte des esclaves, l’économie sucrière se réoriente : repli des Français sur la Martinique et la Guadeloupe, renouveau de la Jamaïque britannique, importance persistante du Brésil. Les abolitions de l’esclavage dans les colonies – 1833 pour le Royaume-Uni, 1848 pour la France, 1865 aux États-Unis, 1886 à Cuba, 1888 au Brésil – mettent fin à un système qui a conduit à la déportation d’au moins douze millions d’individus. LA PLANTATION La moitié des esclaves présents dans les colonies travaille dans les plantations. Leur effectif moyen par plantation est variable : trente esclaves dans le Vieux Sud cotonnier des États-Unis, cinquante dans les Petites Antilles sucrières, cent ou plus à Saint-Domingue, où la taille des exploitations augmente à la fin du 18e siècle, atteignant en moyenne 261 ha et 215 esclaves, lorsqu’aux cultures s’ajoute la sucrerie. À Saint-Domingue, en 1666, Alexandre Oexmelin, jeune chirurgien français, observe deux scènes opposées : d’un côté « un magnifique jardin », doté d’une agriculture intensive, offrant aux propriétaires résidents ou métropolitains un mode de vie confortable. De l’autre, de « malheureux nègres nus, n’ayant de vêtement qu’un caleçon, brûlés sans cesse par un soleil ardent ». La population blanche (« habitants », petits propriétaires, professions libérales, petits blancs, artisans) est fort hiérarchisé diverse, tout comme celle des libres de couleur. Il devient courant d’octroyer aux esclaves des plantations, dirigés par un régisseur et des contremaîtres – certains de couleur –, l’usage d’un jardin qui permet au propriétaire de diminuer ses frais de nourriture, tout en donnant à l’esclave une petite marge d’autonomie (c’est le « samedi jardin »). Sauf dans de rares cas (notamment aux États-Unis), le taux insuffisant de reproduction des esclaves induit des importations croissantes de nouveaux venus, dont les femmes ne forment qu’un tiers. Dans la population d’origine européenne également, le nombre de femmes est minoritaire, surtout au début. D’où un métissage – particulièrement répandu en Amérique latine – qui entraîne l’apparition des libres de couleurs, dont certains épousèrent des Européennes. Ainsi à la Réunion tout le monde, même les « Blancs », est en réalité de sang-mêlé. Mais la barrière de couleur s’accroît au 18e siècle, surtout aux Isles où, après 1750, les prérogatives des affranchis sont progressivement rognées. Les colons d’origine européenne, très minoritaires dans les Isles, sont beaucoup plus nombreux sur le continent sud-américain, où la barrière de couleur est moins étanche, et aux États-Unis. L’HISTORIOGRAPHIE RECENTE Elle continue d’insister sur la dureté du système. Ainsi, au Brésil, la vision, popularisée par l’anthropologue Gilberto Freyre dans Maîtres et esclaves (1933), d’un ordre patriarcal accompagné de relations interraciales moins dures qu’ailleurs, creuset dans lequel se seraient fondus les apports amérindiens, portugais, africains, pour former la nation brésilienne est aujourd’hui remise en cause. Mais les historiens découvrent aux sociétés coloniales une relative plasticité et reconnaissent aux esclaves une certaine agency : capacité de s’approprier des savoirs juridiques qu’ils retournent contre le propriétaire, prégnance des origines africaines malgré la créolisation de la société. Par ailleurs, la recherche insiste sur la permanence d’un grand marronnage (les esclaves noirs fugitifs réfugiés dans des endroits déserts sont qualifiés de « marrons ») dans des zones d’insoumission durable, et d’un petit marronnage endémique (absences de courte durée). L’économie esclavagiste apparaît comme un mélange de traits modernes (forts investissements, unités d’exploitation de plus en plus grandes, productions de forte valeur ajoutée seules compatibles avec les coûts des transports transatlantiques) et de traits archaïques. On souligne aujourd’hui la complexité et la diversité des sociétés : celle des Antilles sucrières n’est pas celle de la Réunion, où les cultures vivrières, puis celles des épices, sont importantes, à côté du sucre. Les esclaves des villes et des ports ont une plus grande marge de manoeuvre que ceux des plantations. Le poids croissant de la barrière de couleur n’empêche pas les affranchissements. Le débat relatif à l’impact sur la naissance de la Révolution industrielle de l’accumulation du capital liée au commerce triangulaire reste ouvert.
- LES ÉTATS (CÔTIERS) AFRICAINSET LA TRAITE EUROPÉENNE,XVIIE-XVIIIE SIÈCLES
La traite atlantique (légale puis clandestine) monte en puissance à la fin du 17e siècle et atteint son maximum entre 1760 et 1830, en Atlantique nord sous la forme de la “traite triangulaire” (port européen, côte africaine, traversée de l’Atlantique et retour vers l’Europe), et en Atlantique sud “en droiture”, c’est-à-dire directement entre les côtes congolaises et le Brésil car les vents et les courants y sont plus favorables). Catherine Coquery-Vidrovitch
- LES EUROPÉENS, LES TRAITES ET LES ESCLAVAGES
Les traites et les esclavages existent depuis la Haute-Antiquité à travers le monde, et notamment en Europe, dans le bassin méditerranéen, en Afrique. Le terme générique « esclavage » renvoie à une diversité de réalités et de situations selon les continents et les époques. La traite transatlantique et l’esclavage colonial organisés par les Européens à partir du 16e siècle succèdent aux progrès de la navigation, à la colonisation de nouvelles terres en Amérique et au besoin de main-d’oeuvre pour leur mise en valeur. Phénomènes sans précédents, ils se caractérisent par leur intensité et la masse des populations déportées sur de longues distances. Ils ont impliqué toute l’Europe, les puissances maritimes mais aussi continentales, et ont fortement contribué à la formation de l’Europe moderne. Patricia Beauchamp Afadé Grenouilleau, Olivier. Qu’est-ce que l’esclavage? Une histoire globale. Paris: Éditions Gallimard, Bibliothèque des histoires, 2014.Dorigny, Marcel, and Bernard Gainot. Atlas des esclavages. De l’Antiquité à nos jours, Cinquième édition. Paris: Editions Autrement, 2022. TRAITES ET ESCLAVAGES: HISTOIRE ET DEFINITION Les termes « traite » et « esclavage » désignent des réalités différentes : la traite fait référence à un commerce d’êtres humains et l’esclavage à un type de relations sociales qui a varié selon les régions du monde et les époques. Certains historiens, comme le français Olivier Grenouilleau, proposent une définition de l’esclave. Il est toujours un Autre ou quelqu’un transformé en un Autre ; il n’a pas la même culture, la même religion, etc. Il est possédé par son maître, et peut ainsi être soumis à l’arbitraire le plus total. Il est utile et profitable à son maître. Enfin, l’esclave est un être humain à qui on veut dénier toute humanité : il est réduit à sa simple force de travail, et peut être assimilé à une marchandise, un animal ou une machine. L’ESCLAVAGES, UNE PRACTIQUE UNIVERSELLE TRES ANCIENNE L’esclavage est une des formes les plus constantes de la domination d’êtres humains par d’autres êtres humains. La guerre et la dépendance économique (la dette) sont les plus grandes pourvoyeuses d’esclaves. Si les premiers témoignages écrits de l’esclavage concernent la Mésopotamie, son existence s’est révélée dans toutes les sociétés humaines. En Europe, l’esclavage structure la vie économique et sociale de la civilisation gréco-latine depuis 500 avant l’ère chrétienne. Les esclaves sont très présents dans les mines, les carrières, les grands domaines céréaliers, les fermes de bétail ou dans les activités économiques urbaines. Plus tardivement, au Moyen Âge, les rives de la Méditerranée demeurent les terres de sociétés esclavagistes. En Andalousie (Espagne), au Portugal, à Gênes et à Venise (Italie), posséder des esclaves est courant et touche toute la société. A la fin du 16e siècle, la population servile est évaluée à 4-5% de la population totale de la péninsule ibérique. L’origine des esclaves est variée : Russes, Circassiens (originaires des vallées caucasiennes à l’est de la mer Noire), Tartares (steppes de l’Asie centrale), Slaves, notamment les populations serbes, Barbaresques, Turcs, Maures, Africains, etc L’histoire de l’esclavage en Europe et l’origine du mot « esclave » – sclavus (latin médiéval), apparu au Haut Moyen Âge à Venise, où la plupart des esclaves sont des Slaves des Balkans – démontrent que l’esclave n’a pas toujours été « noir ». NAISSANCE ET DEVELOPPEMENT DE LA TRAITE EUROPEENE Au 15e siècle, les progrès de la navigation, la recherche de routes vers l’Inde et la multiplication des contacts directs entre Européens et Africains provoquent des changements majeurs dans les échanges. Les Portugais, essentiellement, mènent des campagnes d’exploration maritime le long des côtes africaines, y installent des forts ou comptoirs et développent des relations avec certains souverains ou commerçants. Accoutumés à introduire de la main-d’oeuvre servile d’origine africaine en Europe méditerranéenne, les Portugais franchissent, à cette époque, une étape majeure en employant cette main-d’oeuvre dans la mise en valeur de São Tomé et de plusieurs îles atlantiques de l’Afrique, puis, dans l’exploitation des colonies américaines. Ils « inventent » donc la traite transatlantique de captifs africains. La traite est née du besoin croissant de main- d’oeuvre pour la mise en valeur (colonisation, défrichage, mise en culture, etc.) des colonies américaines, et notamment pour la production des denrées coloniales telles que le tabac, le sucre, le coton, le cacao et le café. Ces produits de luxe deviennent progressivement en Europe des produits de consommation courante, et la demande ne cesse de croître. Au 17e siècle, un système d’engagement se met en place dans les États européens : de jeunes hommes, et quelques rares jeunes femmes, s’engagent pour quelques années dans les colonies européennes. Leur voyage, la nourriture et un logement sur place sont pris en charge. Mais rapidement, les candidats au départ se font vite rares. Ils sont vite dissuadés par le taux de mortalité élevé dans ces régions tropicales. Les colons tentent de recruter les populations locales, amérindiennes, mais ces dernières ne sont pas assez nombreuses, et sont rapidement décimées par les maladies importées et les conditions de travail extrêmes auxquelles elles sont soumises. Quant à l’accroissement naturel des populations serviles africaines, il n’est pas suffisant face à la demande croissante de main-d’oeuvre. Le recours massif à la traite transatlantique de captifs africains vers les Amériques est la solution privilégiée par les Européens. Cette forme de trafic et d’exploitation de la main-d’oeuvre n’est pas nouvelle. Il s’agit alors de déplacer vers les Amériques des trafics ancestraux, présents sur le continent africain : les traites internes africaines, dont les origines sont très anciennes, et les traites orientales, pratiquées entre le 7e et le 19e siècle par les empires arabe, perse, puis ottoman, sur des populations non islamisées, les Africains vivant au sud du Sahara. Même si le Portugal en est à l’initiative, l’ensemble de l’Europe atlantique s’engage dans la traite transatlantique. Rapidement, les puissances du nord-ouest de l’Europe cherchent à contester le monopole colonial ibérique. À partir du 17e siècle, après avoir conquis une partie du Brésil en 1630, les Néerlandais rejoignent les Portugais et les Espagnols, et enfin, les Français et les Anglais, dont le trafic connaît son apogée au 18e siècle. Des compagnies de navigation, sociétés par actions, se mettent en place : en 1621, la Compagnie des Indes occidentales hollandaise ; en 1658, la Compagnie française du Cap-Vert et du Sénégal ; en 1672, la Royal African Company anglaise. Les plus offrants remportent le marché sur les côtes africaines. Les marchandises embarquées sur les navires de traite sont toujours plus nombreuses et de grande qualité pour répondre à la demande des souverains et commerçants africains. Les principales puissances ayant pratiqué la traite sont le Portugal, l’Angleterre, la France, les Pays-Bas, la Suède et le Danemark, mais l’ensemble de l’Europe participe à cette économie esclavagiste : soit par l’organisation ou le financement d’expéditions de traite, soit en produisant des marchandises destinées au commerce sur les côtes africaines et à l’achat de captifs ou au fonctionnement des plantations en Amérique, soit en bénéficiant de la diffusion des produits coloniaux. FLUX, CIRCUITS ET ACTEURS DE LA TRAITE EUROPEENE Les spécialistes estiment, qu’entre 1500 et 1870, 12 à 15 millions d’hommes, de femmes et d’enfants africains sont déportés de leur continent vers les Amériques par les principaux pays organisateurs de la traite : le Portugal et le Brésil portugais (4,65 millions de déportés), le Royaume-Uni (3,097 millions), l’Espagne et l’Amérique espagnole (1,6 million), la France (1,313 million), les Pays-Bas (544 000 déportés), les colonies d’Amérique du Nord/les États-Unis (367 000) et le Danemark (103 000). Environ 10 millions sont débarqués, en raison de la forte mortalité à bord des navires de traite (15% en moyenne). LES PROFITS ET LE TRAITE ILLEGALE Encore aujourd’hui la question des profits de la traite transatlantique et de son rôle dans le décollage industriel de l’Europe occidentale n’est pas totalement tranchée. Les recherches récentes montrent que les taux de profit sont de rendement modeste : 5 à 10 % pour les Hollandais, 10 % pour les Anglais, 6 % pour les Français. On évoque toutefois de fabuleux bénéfices, résultant d’expéditions particulièrement bien menées et pouvant procurer un profit de 100 à 150 %. Mais le caractère aléatoire de la traite peut tout autant conduire à des expéditions lourdement déficitaires. Ces profits ne se limitent toutefois pas à des bénéfices capitalistiques, réservés à un petit groupe d’investisseurs ou de spéculateurs, mais bien à toute une économie. Toutes les activités, liées à l’économie coloniale dont le rôle est essentiel pour les pays de l’Europe moderne sont concernées : fabrication et ventes de marchandises de traite, construction navale et armement des navires, transformation et commercialisation des denrées coloniales, circulation des capitaux (banques, assurances, bourses). Cette situation économique a motivé les armateurs à poursuivre la traite de manière illégale en France jusque dans les années 1850, avec 674 expéditions recensées. Bien qu’imposée par les Anglais aux autres États européens et interdite par la convention de Vienne de février 1815, la traite n’est abolie en France qu’entre 1817 et 1831 et se poursuit encore plus tardivement dans l’hémisphère sud, entre les côtes congolaises et angolaises et le Brésil. L’embellissement des villes portuaires de l’Atlantique date de cette époque, et est bien souvent le fait de fortunes privées. L’Europe des Lumières se divertit, avec le développement des arts, des lettres et de nouvelles saveurs ; « l’exotisme » et « le goût des îles » s’invitent. Comme le souligne l’écrivain Marc Elder (1884-1933), « L’argent sanglant des mers se lavait dans la beauté ». QUELS HERITAGES ? Cette histoire atlantique a été souvent omise de l’histoire de l’Europe continentale, or elle a joué un rôle majeur dans la formation de l’Europe moderne. La spécificité de la traite transatlantique et de l’esclavage colonial a été de racialiser le statut d’esclave, d’établir une synonymie entre « noir-nègre » et « esclave ». Cette construction moderne de la « race » a établi progressivement des phénomènes d’identification entre positionnement racial et fonction économique. Cette construction a ensuite été renforcée par la colonisation de l’Afrique et le travail forcé. Le rôle de l’économie coloniale esclavagiste n’est pas négligeable dans certains secteurs de la production et de la consommation, dans l’évolution du capitalisme, dans le renouvellement de la hiérarchie sociale et dans le débat d’idées. La traite transatlantique a contribué à animer de nombreux marchés d’approvisionnement et de redistribution et permis la constitution de grandes fortunes investies dans les activités ou les formes de consommation les plus diverses. Les mouvements philosophiques et religieux, qui sont au coeur de la culture européenne actuelle et dont les enjeux mémoriels du temps présent témoignent, ont été nourris par les débats de l’Europe des « Lumières » autour des justifications de la traite et de l’esclavage ou des campagnes abolitionnistes. Nous constatons aujourd’hui comment la traite et l’esclavage ont façonné, non seulement les Amériques, mais aussi l’Europe, dans la composition de sa population, dans la construction de l’altérité, mais aussi dans sa relation au monde, et notamment à l’Afrique.